Les voyageurs du piano

par Coralie P.

Cette œuvre originale créée en 2007 est signée Mokap, une artiste discrète et engagée. Les Voyageurs du piano évoquent spontanément deux thèmes: le voyage et la musique. Avec une femme comme Mokap, est-ce aussi simple ou simpliste ?

Le voyage au sens géographique est un des loisirs de l’artiste. Celle-ci aime expérimenter, explorer, développer sa curiosité en découvrant de nouveaux mondes, d’autres savoir-faire et savoir vivre. L’Italie, le Japon, la Grèce, l’Islande, la Martinique, le sud de la France, autant de lieux déjà visités variés où chaque culture est un monde en soi. Les désirs de voyages à venir de Mokap traduisent son ouverture sur ce qui fait la richesse et l’originalité des peuples de notre Terre : elle aspire à s’envoler vers la Patagonie, la Nouvelle-Zélande, le Kenya, la Corée, le Costa Rica, le Kurdistan et sans aucun doute encore bien d’autres. Voyager offre une liberté de pensée si chère à Mokap.
Les voyageurs du piano n’ont pas de cadre.  Ils sont posés, prêts à s’envoler, libres de leur itinéraire.

Les voyageurs nous entraînent également dans un autre voyage : un voyage intérieur. Mokap est en effet sans cesse en ébullition créative. Se questionner pour savoir se renouveler est sans doute une de ses devises. L’esprit n’est pas à la complaisance d’une routine convenue. Avec une vie déjà très accomplie et méritante, l’artiste continue d’étonner par ses idées et initiatives foisonnantes qui révèlent sa soif de s’affranchir des sentiers battus. L’éducation, l’élégance sont des atouts que notre chère amie possède et cultive avec respect mais pour autant rien ne doit être tenu pour acquis ou figé.

La musique est un art, une culture, une évidence naturelle au sein de la famille de Mokap. Les notes s’égrènent à travers un piano, un violon, un orgue, une flute, la voix et bien d’autres instruments parfois étranges. La musique traverse le temps, elle est aussi une forme de spiritualité. Chacun se l’approprie en toute liberté. Elle peut résonner en écho à nos propres émotions, à notre envie de rire, de danser ainsi qu’à notre besoin de se ressourcer, de pleurer, de méditer.
La musique accompagne. Elle est en soi un voyage personnel ou partagé.
La musique est nature, il suffit d’écouter le chant des oiseaux au printemps, les bourdonnements des insectes l’été et bien d’autres merveilles offertes par notre planète.
Ce n’est donc pas par hasard que nos Voyageurs ressemblent à de beaux oiseaux migrateurs car Mokap aime contempler la nature, en écouter ses intonations et souhaite avec force et conviction aider à la préserver.

Pourquoi récupérer des éléments d’un vieux piano qui n’offrira plus ses talents musicaux ? Un instrument de musique reste sacré même s’il ne peut plus être accordé et donc joué. C’est un objet qui ne se jette pas comme un simple déchet. Lorsqu’un instrument de musique parvient au terme de sa vie il ne rend pas son âme pour autant : derrière lui un artisan aura passé de longues semaines à le façonner, à l’ajuster ; des pianistes en herbe ou chevronnés se seront entraîné encore et encore pour parvenir à jouer une œuvre. Un piano c’est un meuble qui fait partie du cadre de vie de son propriétaire. Lorsqu’on l’ouvre il suggère une évasion, on ressent une émotion dès que l’on caresse du bout des doigts ses touches noires et blanches. Même s’il ne peut plus être joué, rien qu’en le regardant on entend résonner dans notre for intérieur les notes qu’il nous a offertes du temps de sa splendeur, telle une madeleine de Proust musicale.

Le piano, dont les éléments ont permis la création des Voyageurs du piano, a appartenu à une très chère amie, Sophie, musicienne et mélomane. Cette œuvre est donc inspirée par l’amitié et la musique. C’est aussi une création militante de Mokap car elle plaide pour une responsabilité collective en pensant à la préservation de notre planète. Mokap est à ce titre très soucieuse de la récupération de matériaux.  Elle a de solides arguments pour développer la lutte contre la surconsommation et la pollution de toutes sortes.

Les célèbres et envahissantes capsules métalliques et colorées ont été la goutte polluée de trop ; elles ont inspiré l’artiste pour imaginer un recyclage assez inattendu. De l’objet utilitaire et si éphémère, Mokap a cherché puis trouvé comment rendre celui-ci esthétique et durable. La patience aussi peut être d’or : chaque capsule doit être ouverte, vidée, nettoyée avant d’être travaillée et sublimée. C’est un travail méthodique quasi monacal car le plus souvent solitaire et silencieux.

Une fois le principe de récupération adopté, le plastique, le bois, d’autres matières vouées à encombrer un peu plus des poubelles à ciel ouvert, deviennent des matières premières très intéressantes pour Mokap. Ainsi un vieux piano qui avait fait son temps en tant qu’instrument de musique se voit-il désossé. A partir de marteaux, de cordes, de pédales, de touches, que peut-on bien imaginer ?
Mokap a su ainsi concevoir un porte-manteau qui accueille tous les accessoires du va-et-vient intérieur/extérieur, parfaitement intégré dans un appartement parisien.

Les Voyageurs du piano également issus de ce piano de récupération n’ont pas de fonction utilitaire. Ils sont ce que l’on appelle communément un objet décoratif. Ce serait pourtant bien trop réducteur de s’arrêter là dans la réflexion. Ces éléments de piano dissociés de leur rôle d’origine sont devenus des messagers qui nous invitent à nous évader et peut-être à chercher en nous et dans notre relation aux autres ce qui fait sens en survolant dans notre imaginaire et dans notre réalité le monde qui nous entoure. Privilégier l’essentiel est essentiel pour Mokap.

Les références à Charles Baudelaire s’imposent presque d’elle-même par une « invitation au voyage » où se mêlent musique et poésie nous entraînant ainsi avec nos amis Voyageurs vers un monde qui s’offrirait comme une promesse :

            Là tout n’est qu’ordre et beauté,
            Luxe, calme et volupté.

En plein vol, réécoutons ces quelques vers du poème Elévation extraits comme les précédents de Spleen et Idéal du recueil Les Fleurs du mal :

            Derrière les ennuis et les vastes chagrins
            Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
            Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
            S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

           Celui dont les pensées, comme des alouettes,
           Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
           Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
           Le langage des fleurs et des choses muettes !

Les Voyageurs du piano sont une véritable œuvre d’arts multiples dans lesquels chacun peut contempler à tire d’aile les mécanismes du monde. Ils sont une prise de conscience, une force, une conviction, un engagement, des messagers de paix et d’amour pour ce et ceux qui nous entourent. Ils sont une note d’espoir puisque même en mille morceaux il peut, il doit y avoir un après, peut-être silencieux, incomplet, avec une autre finitude mais présent.

Chacun peut œuvrer à son tour pour transmettre, à ceux qui viennent après nous, les fleurs, les arbres, le bleu du ciel, le soleil, la banquise, les campagnes verdoyantes, des océans propres et vivants, des horizons clairs, un piano cassé si la partition qui est jouée est juste, équilibrée, en harmonie. Les Voyageurs du piano peuvent être simplement là pour vous intriguer, vous émouvoir ou être regardés comme une création artistique.

Mokap est une artiste libre, intrépide et réfléchie, à suivre indéniablement – dans tous les sens du terme.

Année

2007

Matériau

Reste de vieux piano